Jean Vendome et Gilbert Albert : Les maîtres de la joaillerie contemporaine

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L’un est français, l’autre suisse et 2 expositions magistrales saluent non seulement leur travail artistique mais les sacrent ainsi Maître de la joaillerie contemporaine.

Gilbert Albert chez lui. photo © eddy mottaz
Gilbert Albert chez lui. photo © eddy mottaz

« Gilbert Albert, joaillier de la nature » est visible au Musée d’Art et d’Histoire de Genève jusqu’au 15 novembre et « Jean Vendome, artiste joaillier » est ouverte à l’Ecole des Arts Joailliers à Paris jusqu’au 18 décembre.

Jean Vendome, photo archives Jean Vendome
Jean Vendome, photo archives Jean Vendome

Ils étaient contemporains : ils sont tous deux nés en 1930. A voir leur photo on pourrait même dire qu’ils se ressemblaient mais c’est surtout une communauté de vision artistique qui les réunit. Inévitablement ils se sont rencontrés et sont devenus amis. Ils ont même eu le projet de créer un tour de France ou d’Europe pour les élèves joailliers, comme une actualisation du système de compagnonnage pour transmettre de Maître à apprentis les savoir-faire joailliers.

Expo Jean Vendome
Expo Jean Vendome

Jean Vendome et Gilbert Albert, des histoires parallèles

Gilbert Albert a des racines française et italienne et s’installe à Genève. Jean Vendome a des origines arméniennes (son nom est Ohan Tuhdarian) et ses parents se posent à Lyon avant de s’installer aux alentours de Paris. Aucun d’eux n’aime l’école. Jean Vendome aura des soucis de santé qui lui feront arrêter sa scolarité à 13 ans. Guérit, il lui semble hors de question de reprendre le cursus. Alors il entre en apprentissage dans l’atelier de joaillerie de son oncle Aram Der. Gilbert Albert déteste aussi l’école, il s’y ennuie terriblement. Alors il s’inscrit à l’Ecole des Arts Industriels à 15 ans. Et pour des enfants qui n’aimaient pas l’école, ils vont devenir tous deux des apprenants à vie.

Expo Gilbert Albert
Expo Gilbert Albert

Jean Vendome va s’initier à la gemmologie à l’Institut National de Gemmologie sous l’égide de Dina Level, au dessin et à la sculpture aux Beaux Arts d’Orléans pendant son service militaire. Et toute sa vie la fréquentation des artistes va lui permettre d’absorber des connaissances, mais seulement celles qu’il choisit ! Gilbert Albert explore le dessin et la sculpture à l’Ecole des Arts Industriels et lui aussi, sait pénétrer toutes les couches de la société pour s’arrêter sur des artistes et les acteurs de son temps dont la personnalité entre en résonance avec la sienne.

Les révélations

Ils sont tous deux précoces. Gilbert Albert ouvre son propre atelier à 17 ans, Jean Vendome à 18. Tous deux ont fait leurs classes en maîtrisant l’horlogerie (Gilbert Albert a été Chef d’atelier chez Patek Philippe pendant 7 ans) ce qui leur donne une minutie incroyable, un souci du détail et une maîtrise du geste qui transparaît dans tous leurs bijoux fussent-ils d’apparence déstructurée.

André-Charles Lambert est le professeur de Gilbert Albert à l’Ecole des Arts Industriels. Il lui transmet les réflexions qui vont marquer ses créations comme l’observation de la nature, le goût de l’asymétrie et l’attrait pour les pierres gemmes différentes : à inclusion, brute, irrégulière, à paysage. Pour participer à un concours parisien, il a créé des pièces à partir de matériaux bruts qui ont fait un peu grimacer le jury. Depuis il les a enfermées dans un tiroir. Gilbert Albert est intrigué, il demande à son professeur de lui montrer ces bijoux. Devant l’insistance de son élève, André-Charles Lambert s’exécute. Gilbert Albert a un choc. Il est subjugué. Il a trouvé sa voie. Et ce qu’il va réaliser va dépasser les innovations qui lui sont présentés ce jour-là.

Dina Level est l’enseignante gemmologue de Jean Vendome. Elle est évidemment passionnée de gemmes et ne se cantonne pas aux seules pierres précieuses. Elle lui montre la beauté naturelle des pierres, de toutes les pierres et il va plonger dans le monde fascinant des couleurs et des textures, des agates qu’il appellera ses peintures indélébiles ou des opales qui lui rappellent les eaux marines.

Jean Vendome et Gilbert Albert : Leur goût commun du bizarre

Ils partagent tous les deux le goût pour les gemmes bruts : les lapis-lazuli non taillés qui explosent ainsi d’une intense couleur bleu Klein, les tranches d’améthystes au mauve moiré, mais aussi les quartz neigeux pour Gilbert Albert, ou fantômes et inclus de rutiles pour Jean Vendome. Ils vont rechercher les matériaux étranges : les météorites bien sûr, mais également les staurotides qui ont la particularité de montrer naturellement des macles en croix. Tous les matériaux leur semblent dignes de figurer dans un bijou, ce qui est alors parfaitement révolutionnaire. Par exemple, les boutons de manchette que Jean Vendome réalise pour le Général de Gaulle sont en os fossilisé de dinosaure.

Les boutons de manchette du Général De Gaulle
Les boutons de manchette du Général De Gaulle

Ils aiment la perle pour sa perfection comme ses étrangetés comme les perles baroques, la perle Mabé hémisphérique et les perles longues de Biwa. Jean Vendome utilisera le cobaltocalcite d’une couleur rose fushia très intense. Ils seront attirés tous deux par le matériau organique comme le corail bien sûr mais également les coquillages et même les pinces de crabes. Comme on connaît leur préférence pour l’étrange, on leur rapporte de partout des spécimens. Chacun dans sa spécialité. On sait que Jean Vendome avait une fascination pour les tourmalines et les agates, on lui en apporte de partout. On sait que Gilbert Albert adorait les scarabées qu’il naturalise dans ses bijoux. On lui en amène tellement que le musée d’Art et d’Histoires de Genève en a répertorié plus de 500 espèces présentes dans ses compositions joaillières (sans compter les sous-espèces).

La stylistique de leur art joaillier

Quand on regarde leurs bijoux on voit immédiatement combien ils ont été novateurs. Les pièces sont déstructurées, les angles sont travaillés, l’asymétrie est présente et le tout est parfaitement harmonieux. Que la pièce soit imposante ou fine. Ce qui frappe tout d’abord c’est le travail de l’or qui signe leur style. Ils ont aimé explorer ses aspects et les conjuguer. Il y a, par exemple, ce que Jean Vendome appelle ses pépites et qui évoquent l’aspect naturel de la pépite d’or. Gilbert Albert parle d’écriture et sa calligraphie aurifère recense plus de quarante formes comme des drapés, des perlés, des gouttes, des froissés, des algues, des carrés d’or….

Ils parsèment leurs réalisations, quel que soit le matériau initial, de diamants. Jean Vendome parce qu’il trouve que le diamant donne de la lumière, comme une étoile. Gilbert Albert parce qu’il les considère comme des gouttes de rosée.

Ils recherchent toujours un équilibre dans la forme. Les bagues tiennent debout quand on les pose, comme un objet d’art. Les pièces sont articulées et épousent parfaitement le corps. Et surtout ils ont travaillé la transformation : les bagues deviennent pendentif, les pendentifs se changent en broches, les pierres sont interchangeables.

Les bijoux de Jean Vendome et de Gilbert Albert ont marqué leur époque : Gilbert Albert recevra 10 DIA (Diamond International Award), et Jean Vendome honorera la commande de 9 épées d’Académiciens. La première de ces épées honorifiques et symboliques, qui retrace les qualités et la vie du commanditaire, sera réalisée pour Roger Caillois (qui restera un ami à vie).

L’ami de Gilbert Albert sera l’Abbé Pierre pour qui il dessinera la célèbre silhouette que l’on connaît. Aujourd’hui les collectionneurs s’arrachent leurs pièces et les joailliers n’en finissent pas de s’inspirer de ces deux Maîtres qui ont inventé la joaillerie contemporaine.

Anne Desmarest de Jotemps pour Artistes du Temps

Catégorie :
Portraits

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